EXPOSITION : ITINERANCES, FERRANTE FERRANTI

Institut francais de Turquie - Istanbul
12.10.2020

A partir du 12 octobre à l’Institut français de Turquie – Istanbul
L’exposition “Itinérances” du photographe français Ferrante Ferranti aura lieu simultanément dans les trois antennes (Ankara, Istanbul, Izmir ) de l’ Institut français de Turquie. 

EXPOSITION : ITINERANCES, FERRANTE FERRANTI

L’exposition “Itinérances” du photographe français Ferrante Ferranti aura lieu simultanément dans les trois antennes (Ankara, Istanbul, Izmir ) de l’ Institut français de Turquie. 

Vous avez la possibilité de participer sur réservation à des visites commentées en français par l’artiste, le lundi 12 et mardi 13 octobre. Notre protocole sanitaire limite la participation à 10 visiteurs.
Pour
réserver cliquez sur la date 
souhaitée.

Lundi 12 octobre – 15h

Lundi 12 octobre – 16h

Mardi 13 octobre – 15h

Mardi 13 octobre – 16h

Biographie


Né en 1960 en Algérie, d’une mère sarde et d’un père sicilien, il vit à Paris. Passionné par le livre de Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, il se lance dans la formation d’architecte à Toulouse, qu’il achève à Paris-UP6 en 1985 avec un diplôme sur les théâtres et la scénographie à l’époque baroque

Il prend sa première photographie à l’âge de dix-huit ans, une vague à Belle-Ile en mer. Après avoir a été professeur de civilisation hispanique à l’Université d’Artois, à Arras, de 2005 à 2011, il enseigne à l’Université Catholique d’Angers depuis 2015. Auteur de Lire la photographie (éditions Bréal, 2002), il dirige des ateliers de photographie à l’étranger – au Guatemala en 2004, en Indonésie en 2009, à Bucarest en 2010 et en Serbie depuis 2010 – et à SciencesPo Paris depuis 2014.

Il a animé des Ecritures de lumière avec des lycéens, de Garges-lès-Gonesse et Sarcelles au Musée de la Renaissance du Château d’Ecouen en 2009-2010, et des lycées francophones d’Istanbul en 2017. Il s’est associé en 2008 et 2010 au photographe Mathieu Ferrier pour L’Orient intérieur, le palais Antaki à Alep et Le Palais Sursock à Beyrouth aux éditions Philippe Rey.

Photographe voyageur, il est engagé depuis trente-cinq ans avec l’écrivain Dominique Fernandez dans une exploration du baroque et des différentes strates de civilisations, de la Bolivie à la Sibérie en passant par l’Italie et la Syrie. La Maison Européenne de la Photographie lui a consacré en 2013 sa première rétrospective, Itinerrances, reprise à la Base sous-marine de Bordeaux en 2015.

Sur les grilles de l’Hôtel de Ville de Paris, il a exposé Les Musées de la Ville de Paris à l’automne 2017 et Visage(s), plaidoyer pour l’égalité des chances – Article 1 à l’automne 2020.

Itinérances

Peu m’importe si la guerre de Troie a eu lieu ! L’Iliade a façonné mon imaginaire d’adolescent et l’Odyssée ne cesse de nourrir mes mythologies. J’entretiens l’idée qu’Homère a oublié de chanter la navigation du rusé Ulysse entre sa visite aux Kikones et son débarquement au pays des Lotophages. Son traducteur Victor Bérard, accompagné du photographe Frédéric Boissonnas, tous deux partis en 1912 dans le sillage de l’errant jusqu’à son retour à Ithaque, a localisé ces étapes à Ismaros, sur la rive opposée de Troie, et à Djerba, dans l’actuelle Tunisie. Mais rien ne nous empêche d’imaginer le héros victorieux longeant les côtes d’Asie Mineure afin de narrer ses exploits aux Éphésiens et poussant jusqu’à Termessos pour honorer ses guerriers, mentionnés dans l’épopée légendaire, avant de franchir le cap Malé, à la pointe sud du Péloponnèse. En 1980, à vingt ans, l’âge de Télémaque au début de l’Odyssée, j’entrepris mes voyages initiatiques. En Sicile tout d’abord, en quête de mes racines paternelles : « l’île du Soleil » où l’itinéraire aventurier d’Ulysse, maudit par Poséidon pour avoir éborgné le Cyclope, devint errance solitaire faute de n’avoir su empêcher ses compagnons de manger les vaches sacrées. En quête des sanctuaires liés à Apollon – Bassæ, Delphes, Délos… – je partis dans la foulée pour la Grèce. J’étais déjà sensible à la légende d’Alexandre le Grand et aux passions de l’empereur Hadrien. Le songe d’Égypte s’incarna dans l’équinoxe d’automne de 1981, lorsque la chambre des Dieux du temple d’Abu Simbel s’enflamma quelques minutes à peine afin de célébrer le triomphe du soleil sur les ténèbres. Ce fut le jour de mon baptême par la lumière, je serai désormais photographe. Dans la Mosquée Ibn Tulun, au Caire, j’eus la révélation de l’art islamique. Il était temps d’accoster en Orient. Je vins en Turquie la même année, rêvant de Dardanelles et de Corne d’Or, de Pamukkale et de Byzance, de grottes dans les contrées choisies par Pier Paolo Pasolini pour sa Médée. Mes regards d’alors, figés dans des ektachromes accidentés par manque de maîtrise et pâlis sous les effets du temps, disent mon émerveillement devant les minarets de Sinan et les kiosques de Topkapi, les coupoles de caravansérails traversées par les oiseaux et les fresques de Cappadoce. Au cours du voyage, j’eus des visions bibliques et découvris un peuple métissé. A Ankara, je fus troublé par le contraste entre l’amoncellement des maisons sur les collines et l’imposante solitude du mausolée de Mustafa Kemal Atatürk.  Il me fallut attendre 1997 pour qu’un chantre nouveau me guide vers l’Est. J’étais devenu un familier de l’Inde et rêvais d’emprunter les routes de la soie, mais il me manquait le récit des étapes. Nicolas Bouvier fit irruption dans ma vie, L’Usage du monde devint le bréviaire de mes périples. Selon moi personne n’a su traduire, comme il l’a fait non loin d’Erzurum, le bonheur du voyageur hors du temps et de l’espace. J’ai suivi ses pas en Iran, de Persépolis à Tabriz, puis en Afghanistan, où j’ai eu le privilège d’animer deux « Jeudis de Kaboul », ces rencontres entre « expatriés » auxquelles se mêlaient alors, en 1954, les aventuriers libres qui manquent cruellement désormais. Les vers de Rûmi, peints sur la carrosserie déglinguée de sa Fiat Topolino, avaient pour Bouvier valeur de passeport.  Les bouddhas de Bamiyan ont été depuis réduits en poussière mais l’Esprit plane toujours sur ces grottes qui abritèrent moines, pèlerins et marchands venus des confins de l’Asie. Le fief du commandant Massoud est déserté mais les chevaux caparaçonnés hantent toujours les rives glacées du lac Band-e-Amir, tels ceux des Cavaliers de l’Apocalypse.  J’ai déployé mes itinéraires en Arménie, de Tatev près de la frontière iranienne à Haghpat, le monastère du moine-poète Sayat Nova ; en Géorgie, des tours archaïques de Svanétie aux cellules rupestres de Davit Gareja, qui dominent les plaines de d’Azerbaïdjan ; en Ouzbékistan, de Khiva à Boukhara où les vestiges restaurés racontent la splendeur des lieux nourris d’échanges.

 

En 2008, mon Odyssée s’accomplit en Algérie, le pays de ma naissance ; j’avais accosté sur les rives de tous les pays de la Méditerranée. Depuis une décennie, je reviens chaque année en Turquie. Toujours en quête des mémoires révélées sur les bords de l’Euphrate ou essaimées en Anatolie et dans la Grande-Grèce. Les explorations ont donné lieu à la publication de Voyage en Turquie antique, hommage à un patrimoine exceptionnel et méconnu avec l’archéologue Jacques des Courtils. A Izmir, les arcades et les colonnes du forum rappellent la puissance de Smyrne, à Hiérapolis les portiques dessinent des miniatures persanes, à Sardes la synagogue côtoie le temple d’Artémis. Le spectre de Zeus habite les roches de Labraunda et celui de la Vénus de Praxitèle les pierres de Cnidos. A Éphèse, on visite la maison de la Vierge et de nombreux vestiges chrétiens disent combien les côtes de Lycie, Lydie, Carie, en écho aux ruines de Saint-Siméon en Syrie et aux falaises du Mont Athos en Grèce, furent des havres de prière et d’ascèse. Les incursions dans les terres au départ de Mira – où la légende de saint Nicolas reste bel et bien vivante – m’ont permis de prendre la mesure des richesses spirituelles de ces territoires à la croisée de l’Orient et de l’Occident, au-delà des conflits. A Göbeklitepe, on ne m’a pas laissé entrer, mais dans les nécropoles d’Adiyaman, on perçoit l’écho des rites funèbres ; au Nemrud Dag, les inscriptions grecques m’ont raconté l’histoire d’un roi issu des conquêtes d’Alexandre qui associait Apollon au dieu perse Mithra et à la déesse arménienne Anahit ; à Urfa, lieu présumé de la naissance d’Abraham, j’ai assisté à la prière du vendredi. Et mes missions au sein des lycées lazaristes d’Istanbul m’ont prouvé combien il est essentiel de stimuler l’ouverture d’esprit. Dans le sillage d’Enée, lui aussi parti de Troie, les navigateurs s’établirent loin de leur patrie et, en attente des prophéties d’Apollon, ils consultèrent les oracles. A Didymes, les corridors de marbre poli se firent l’écho des antres de la pythie de Delphes, nombril du monde grec, et de la Sibylle de Cumes, près du cap Misène et non loin du Vésuve. J’ai tracé cette Itinérance à partir des résonances en images entre lieux mythiques et sanctuaires, marbres de gorgones et d’hermaphrodites, icônes et graffiti, obélisques et minarets, chapiteaux grecs et coupoles byzantines. A mes yeux, les pèlerins et les oiseaux dialoguent afin de révéler les strates d’un palimpseste millénaire. Les horizons d’un territoire pétri de civilisation et de syncrétisme s’élargissent sans limites et s’animent de célestes gloires, infinies.

Ferrante Ferranti, 2020