XXF : CHARLES PASI

IF PERFORMANCE HALL
23.11.2018 - 21.30

XXF – VERY VERY FRENCH FESTİVALİ

XXF-VERY VERY FRENCH : CHARLES PASI

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Charles Pasi

“Bricks” Blue Note

C’est un piano qui dessine ici les premières visions. Une voix raconte qu’elle vient du béton, des avenues, des trottoirs bondés ou désertés, des ombres et des arbres esseulés. La ville. Les villes. Un harmonica, tout en retenue, puis une section rythmique progressent au coeur des rues, des âmes. Déambulation qui doit autant aux souvenirs qu’à un constat et un état: Citadin, témoin, homme, musicien, Charles Pasi marche, arpente, avance, sur le bitume et dans sa tête.  “From The City” est la première chanson de “Bricks”, son nouvel album. C’est une porte qui s’ouvre sur quelque chose de sensible et d’important, c’est un environnement qui fait office de carte d’identité. C’est un subtil mélange de douceur et de mélancolie, de lucidité et de dualité, une façon de donner beaucoup sans en faire des tonnes. Blues, soul, pop, d’entrée, on ne sait pas, on ne sait plus et on comprend que les étiquettes n’ont ici aucune importance. Ce n’est pas le problème, ça n’a jamais été le problème. Faut-il définir absolument une chose pour se donner le droit de l’aimer? Il cite d’ailleurs en souriant Duke Ellington: “Il n’y a que deux styles de musiques: la bonne musique et la mauvaise musique” . Comme il a raison.

Né d’un père italien et d’une mère française, habitué, très jeune, aux aller-retours entre la France et les États-Unis, Européen de fait, Charles Pasi a signé en 2015 chez Blue Note, pour trois albums. Blue Note, hein, le vrai, le seul, le label mythique aujourd’hui dirigé par Don Was. Charles Pasi, unique chanteur français à pouvoir en dire autant. Il y avait bien eu un disque posthume de Nougaro. C’est tout. Avant, le trentenaire avait écumé les routes du monde, pour défendre “Sometimes Awake”, son album précédent, sorti en 2013. France, Europe, Chine et Neil Young qui décide personnellement de l’emmener sur ses dates hexagonales, cinq Zénith et un Bercy durant l’été 2016. Sans bruit, sans campagne médiatique démentielle, voilà plus de dix ans déjà que Charles Pasi contourne les codes, slalome entre les piquets de l’évidence pour écrire sa propre destinée. Un harmonica, une plume et un coeur qui déborde. Le sentiment qu’il est là pour ça. Sa musique a cette force, rare, de pouvoir convoquer tous ceux encore capables de s’émouvoir, loin des petits arrangements avec la mort. Enregistré sur 18 mois environ, entre Paris et les studios ICP à Bruxelles, avec le fidèle Jean-Philippe Verdin à la co-réalisation, ce disque à l’intensité élégante et aux couleurs mouvantes, est à la fois très arrangé et très épuré: “Je trouvais que les chansons tenaient bien en fait d’où cette volonté d’épure. Je ne voulais pas d’artifice. Ce n’est pas le moment je pense. Je trouve ce disque plus percutant, plus direct, plus abrasif. C’est plus moderne, dans le sens où la rythmique joue un rôle central, basse et batterie. Épurer n’a jamais signifier facilité ou paresse. J’ai énormément bossé pour accéder à ce résultat.” Il fallait aller à l’os, élaguer, viser le coeur. L’heure n’est plus aux caprices, aux lourdeurs, au camouflage, aux gimmicks pénibles. Il le sait, lui qui vit entre Paris et Nice depuis 2014. Il n’a évidemment pas oublié les tragédies récentes. Il n’a pas repris simplement le cours de sa vie, presque comme si de rien n’était. Il n’a rien effacé. La chanson “Shoot Somebody” (également disponible sur l’album dans une version acoustique à tomber) vient un peu de là: “Ces évènements, ça m’a bouleversé, presque paralysé… Et on en revient à ce paradoxe: dans la même ville, tu as un gamin qui veut aller chanter, danser et un autre qui veut sortir pour tirer. Il n’y a que la ville pour édifier ce genre de paradoxes. La ville, c’est un système de bouleversements systématique.” Il a tout composé, tout écrit, il joue de l’harmonica bien sûr et de la guitare acoustique. Il livre aujourd’hui son disque le plus abouti, le plus vivant. Le disque d’un jeune homme qui refuse la simplification. Et il y a ce titre d’album, “Bricks”: “Les briques, c’est ce qu’il y a au départ d’une construction. Et aussi à l’arrivée. Quand il ne reste plus rien, il reste encore les briques. Tu regardes une ruine, tu vois des briques. La brique, c’est autant le projectile que le refuge. La brique, c’est le foyer, le symbole de la protection. Et c’est aussi celle que tu peux jeter avec violence. J’ai trouvé que c’était une bonne métaphore humaine. Deux hommes peuvent avoir des destins très différents, comme deux briques. Et puis la brique, c’est aussi les éléments: la terre, le feu, l’air et l’eau”. Et donc ce thème récurrent, ce fil rouge, la ville, ses briques et ses contradictions: “Ce disque, c’est ce que ça représente aujourd’hui d’être dans une ville, avec ce que ça peut avoir d’innocent et de coupable, selon la façon dont tu la regardes. Ce n’est ni un éloge ni à charge. Je ne juge pas, je décris” précise-t-il. Charles Pasi est vraiment moins autruche qu’aigle.

Et il n’ignore pas que l’Homme est à la fois victime et bourreau, foyer et supplice, ombre et lumière, émerveillement et chaos. Voilà peut-être pourquoi son disque est aussi saisissant. Ce n’est pas un disque moralisateur ou culpabilisateur. C’est un disque au centre des choses, un disque qui doit autant au désir qu’à la frustration, à la peur qu’à l’envie d’encore respirer. Un disque qui vieillira bien parce qu’il parle aux hommes, des hommes. C’est un disque de sang, de tripes, d’âme et de conscience. Un disque vivant, oui. Malgré ses doutes, ses zones d’ombre, ses failles. Grâce à eux, même!: “On m’a parfois taxé de sombre. Oui, j’assume la mélancolie qui peut affleurer dans le disque. Peu importe dans l’absolu. Quand tu fais un disque, quand tu fais de la musique, ce n’est pas, jamais, un acte sombre. C’est un acte de toute façon lumineux. C’est vivant. Le mec qui a envie de se balancer par la fenêtre, il ne pense pas à ses chansons. La musique, c’est la vitalité, l’envie de vivre, une catharsis, évidemment…” Et on comprend alors mieux pourquoi les chansons de Charles Pasi transportent autant. Elles doivent beaucoup à une honnêteté viscérale et à la simple volonté de n’être qu’elles-mêmes. Elles ne trichent pas, elles grandissent, là, en direct, elles prennent vie avec une classe et une force indéniables. “All The Way” claque des mains et parle d’amour, c’est une chanson dépouillée, c’est un coeur qui bat, une romance sous un soleil qui, un jour, tirera sa révérence. La valse des sentiments, quand il n’y a rien à dire et tout à ressentir. “Good Enough” ou l’art de se contenter de peu, de briser la course au toujours mieux. C’est une chanson qui emprunte au jazz et à la lune, à la sobriété et aux étoiles. Charles Pasi est un félin, de gouttière et d’ailleurs. “City Of Light”, c’est Paris, c’est lui, c’est la ville, c’est une fanfare fantôme conviant à une célébration loin des tapis rouges, là où les hommes font enfin tomber leurs masques. Quand Charles Pasi abandonne le micro, cette voix jonglant entre confidence et gospel de bitume, il chante encore, avec son instrument fétiche, son harmonica, il chante des choses qui ne sauraient mentir. Sur “Burn Out”, on pense à un blues d’évadé, une cérémonie vaudou improvisée, une révolte moins des peuples que des certitudes. Deux minutes instrumentales et viscérales, le bayou boulevard Saint Germain ou les pavés au bord du Mississippi. “Don’t Be Like Me” est une sorte de balade pas rigolarde mais enlevée, à la nonchalance salutaire. Presque early rock&roll, quand les amplis savaient encore transpirer sans filtre. Charles Pasi conseille à ceux qui l’écoutent et à tous les autres de ne surtout pas lui ressembler. Peut-être écrite un soir où une certaine dépression frappait à la porte, ce titre dit beaucoup de son auteur et de sa façon d’appréhender le monde: “Là, je m’en fous une. C’est toujours bien de reconnaître ses limites, non (rires)?” Ici, il ne demande aucun pardon. Faute avouée… Non, pas son genre. Ici, il se dévoile pour mieux déchirer cette peau sociale qui nous étouffe. Je suis comme vous en quelque sorte. Nous sommes, avec tout ce que cela comporte de doutes, de paradoxes, d’émotions vertigineuses… Peut-être noircit-il son tableau personnel, avec ce sourire en coin qui fait toute la différence, pour mieux s’élever, en tout cas dépasser ces sentiments, qui parfois, empêchent toute liberté.

Sur la chanson “Jungle Jimi”, belle et acoustique, intime et aux gouttes d’une pluie d’après l’orage, il s’adresse à son ami australien et ancien bassiste, parti au Chili pour devenir chaman dans la jungle. Une jungle pour une autre… C’est un adieu digne et touchant, une promesse d’avenir aussi, une amitié qui ne craint pas les océans. “Love Me or Leave Me”, qui suit, est une reprise du standard de Nina Simone. Il aura fallu que Charles le confesse pour qu’on s’en rende compte. Cette chanson qu’il adore s’offre ici une nouvelle vie, entre sensualité enlevée et caresse de velours. “End of the Line”, c’est choisir, partir, sans se retourner, ne pas tergiverser. C’est aller ailleurs, tout quitter, pour mieux revenir. La ville, aimant terrible et formidable, là où l’on naît et où l’on meurt. Charles Pasi parvient, encore une fois, à mêler les émotions et c’est aussi en cela que sa musique dépasse les frontières, écrase les habitudes, éteint les dernières résistances.

En fait, si l’on y réfléchit bien, Charles Pasi n’enregistre pas de disque, non, il poursuit simplement la rédaction de son journal intime. L’intimité du monde bien sûr, son nombril n’étant, toujours, qu’un point de départ, jamais une finalité. Perméable, sensible, incapable de détourner le regard, une lucidité chevillée au corps, qu’il aimerait peut-être même parfois pouvoir oublier, Charles Pasi possède cette chose rare en cette époque troublée: un regard sans jugement. Une poésie à l’équilibre fragile, qui raconte ce monde à la fois beau et effrayant, immense et minuscule, passé et futur, adorable et à brûler. Voilà “Bricks”.